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Irène Fermont “les premiers pas de la pharmacovigilance en Israël”

Saviez vous que la pharmacovigilance est récente en Israël ?

Et que les israéliens doivent la mise en place, l’institutionnalisation et le développement de ce processus de surveillance des médicaments à une immigrée française ?

En effet, Irène Fermont, immuno hématologiste, experte en pharmacovigilance, à l’occasion de son Alyah, constatant que les procédures de pharmacovigilance étaient légères, assujetties au seul bon vouloir des labos, voire inexistantes au niveau institutionnel, a décidé de s’immiscer dans le gouffre et de construire et de structurer ce rouage essentiel de la santé publique.

La pionnière, fondatrice de la branche israélienne de l’ISOP (International Society of Pharmacovigilance) nous dévoile, dans cette passionnante interview, la mise en œuvre du chantier par le menu, et l’instauration, d’un ensemble de règles assurant la protection des malades israéliens tout au long de la chaîne de production, de distribution et de prescription des médicaments. Des procédures installées de projets en projets, de guides en formations, de rencontres en congrès, avec tous les maillons partenaires de la chaîne du médicament en Israël : laboratoires pharmaceutiques, pharmacies, universités, hôpitaux, ministère de la santé. A consommer sans modération.

L’alyah et la fondation de la Société Internationale de pharmacovigilance en Israël

Je m’appelle Irène Rina Fermont. J’ai fait mon Alyah en Israël 1993, il y a plus de vingt huit ans !

Dès mon arrivée en Israël, je savais que je voulais créer cette association internationale, l’ISOP (International Society Of Pharmacovigilance). Je voulais créer un « chapter » israélien de l’association.

Pourquoi fonder une Agence de l’ISOP en Israël ?

Parce que domaine dans lequel je travaille, la pharmacovigilance, c’est l’étude des effets secondaires [des médicaments] et leur analyse et leur prévention. C’était un domaine très peu développé en Israël à l’époque de mon Alyah et comme je savais que je pouvais apporter une expertise, c’est un des bagages que je pouvais amener avec moi. Et je pense que c’est très important quand on vient en Israël de se dire « qu’est ce que je peux amener à ce pays ». Je ne suis pas venue très jeune même si ça fait très longtemps que je souhaitais faire mon alyah – un rêve sioniste de quarante ans. Quand j’ai immigré à Jérusalem, j’ai compris que je pouvais apporter à ce pays mon savoir, mon expérience en matière de pharmacovigilance, assez importante, tant au niveau français qu’au niveau international.

Donc dès mon arrivée, j’ai commencé à travailler ; j’ai préparé mon Alyah pendant 3 4 ans et le jour de mon Alyah, j’avais déjà un travail ! C’est à dire que j’avais tout préparé en amont pour pouvoir travailler en Israël. J’avais un job et en parallèle, j’avais créé une société de consulting pour l’industrie pharmaceutique. Le but, c’était d’aider les entreprises pharmaceutiques israéliennes à exporter leurs produits. Et pour ce faire, il fallait absolument qu’elles soient au niveau des standards internationaux de pharmacovigilance et de sécurité des médicaments et, avant toute chose, qu’elles en aient une bonne connaissance. Il fallait donc les former, et les accompagner dans leur mise en conformité. On ne peut pas pénétrer les marchés européens ou américains sans se conformer à ces standards. Tel était mon travail en tant que consultante. Au passage, j’ai adoré ce que j’ai fait ! En parallèle, j’ai créé l’association ISOP

Quelle est votre formation professionnelle de départ ?

Au départ j’ai une formation de médecin immuno-hématologiste effectuée en France. J’ai comencé par travailler dans une banque de sang. Dès le début de ma carrière, je me suis occupée de la sécurité des transfusions du sang. Ensuite, je me suis orientée vers la sécurité des médicaments, aussi bien au niveau français, dans l’industrie pharmaceutique, en tant que prestataire de service ou dans des sociétés prestataires de services. J’ai créé une trentaine, si ce n’est pas plus, d’organisations de pharmacovigilance à l’intérieur d’un laboratoire ou en outsourcing pendant toute mon activité professionnelle en France. Et, à ma venue dans l’état hébreu, j’ai poursuivi dans cette voie professionnelle. C’était essentiel de pouvoir importer ce savoir, cette expérience, parce que la pharmacovigilance était vraiment balbutiante en Israël.

L’année d’avant mon Alyah, il ya eu un grand scandale en israël avec un médicament qui s’appelle Eltroxin qui est prescrit aux gens qui ont des problèmes de thyroïde. Il y a eu un problème avec le laboratoire qui avait légèrement modifié les composants qui enrobent le médicament – pas le principe actif – et ce simple changement a déséquilibré le niveau hormonal des gens qui avaient des problèmes d’hormones thyroïdiennes. C’était exactement la même histoire que le Levothyrox. Le problème c’est qu’en israël personne n’était préparé.

A ce moment là, j’avais commencé à donner des cours au ministère de la santé – bénévolement. Je voulais leur passer le message : «  En matière de pharmacovigilance, vous avez un niveau de pays sous développé ! En Israël, vous avez des prix Nobel donc ce n’est pas possible que vous restiez à ce niveau là ! ». Donc je leur donnais des coups sur les avancées de la pharmacovigilance au niveau européen, quelles étaient les nouvelles réglementations… Et les responsables du ministère de la santé israélien me rétorquaient à chaque fois : « on n’a pas de sous, on n’a personne, on n’a pas de personnel… ». Et j’ai même contacté des sociétés israéliennes, dont la société qui a pris de plein fouet le scandale de l’Eltroxine. Ils m’ont dit « nous on est juste des revendeurs de médicament ; la pharmacovigilance se fait par les maisons mères situées en Europe ou aux Etats Unis. »

Malheureusement il y a eu un problème où personne n’a vraiment bien assumé. Il y a de nombreux pays dans lesquels ça s’est très bien passée et il y a 2 ou 3 pays dans lesquels ça s’est mal passé, surtout en Israël. En Israël, tout d’un coup il y eu des gens qui n’étaient pas prévenus et qui se sont retrouvés en hypothyroïdie ou en hyperthyroïdie et qui ont très mal réagi. Vous imaginez la même chose avec un diabétique auquel on donne de l’insuline et tout d’un coup on change un tout petit peu les composants ; on met un petit peu de sucre à l’intérieur du produit, ça change complètement l’équilibre. Et un diabétique qui perd son équilibre c’est catastrophique. C’est la même chose !

Le ministère la santé israélien s’est retrouvé avec des centaines et des centaines d’appels sans personne pour les gérer. La société qui distribuait le médicament en Israël s’est retrouvée avec un préposé qui ne connaissait pas bien ce domaine là, qui ne savait pas gérer une crise de pharmacovigilance d’une telle intensité et qui, avec plus 800 appels en un mois, ne pouvait pas gérer. Tout ceci a généré un mouvement de panique en Israël. La télévision, la radio, les intervenants qui amplifiaient, qui disaient n’importe quoi, les procès en justice… une vraie crise !

Il y a eu un rapport à la knesset qui a constaté que pharmacovigilance était nulle en Israël et pointé la nécessité de créer un vrai service de pharmacovigilance. Ils ont écrit une nouvelle réglementation calquée sur la réglementation européenne

Comment avez vous pris part au développement de la pharmacovigilance en Israël ?

Le ministère de la santé m’a approché car j’étais à peu près la seule à faire de la pharmacovigilance en Israël, à part Téva. Ils m’ont commandé un white paper, un rapport d’évaluation de l’état de la pharmacovigilance en Israël doublé d’un manuel de préconisation de solutions basées sur mon analyse de la situation. Donc en fait je leur ai réalisé ce white paper dont ils se sont inspirés – je n’ai pas été payée pour ça d’ailleurs ; on dira que ça fait partie de mon sionisme. A ce moment là, c’était très important qu’il y ait une nouvelle réglementation en Israël. Les responsables des labos ne savaient même pas ce qu’il fallait faire. On leur disait : « il faut que vous ayez un responsable de pharmacovigilance », « il faut que vous fassiez tel et tel rapport » … et les laboratoire pharmaceutiques israéliens nous répondaient ; « mais qu’est ce que cela veut dire ? ».

On a commencé comme ça et le ministère de la santé est venu avec nous dans plusieurs réunions. On a commencé par aller surtout dans les sociétés pour lesquelles il y avait de nouveaux règlements et qui devaient absolument savoir comment les appliquer correctement. On allait d’une société à une autre. On a commencé par Téva, puis Merck, puis d’autres sociétés pharmaceutiques – toujours bénévolement bien sûr. Ensuite l’association, des pharmaciens a repris le flambeau et a créé un forum de pharmacovigilance. Donc il y avait une continuité qui était enfin assurée.

De notre côté, on a fait un symposium. J’ai passé trois ans à le préparer. Je l’avais proposé au ministère de la santé mais ils ne le voulaient pas. Je l’ai proposé à des sociétés, à des sponsors mais personne ne voulait ni nous sponsoriser ni nous aider … On y est finalement arrivés. De nombreuses associations sont devenues partenaire et, je suis très têtue, on a quand même réalisé ce symposium. Un symposium international avec des intervenants israéliens et des intervenants du monde entier de très haut niveau. Deux jours consacrés à l’erreur médicamenteuse : comment éviter l’erreur médicamenteuse ? Quelles règles et quelles méthodes appliquer ? Un professeur du Canada est intervenu pour traiter le sujet des opioïdes, on a consacré une session entière sur l’hôpital Sheba – L’hôpital de Tel Hashomer parce qu’ils sont très concerné par les questions de pharmacovigilance.

Quel est selon vous l’élément le plus important dans l’établissement d’une stratégie de pharmacovigilance ?

Ce qui est important pour moi c’est que la pharmacovigilance donc la sécurité des médicaments, c’est pas seulement le travail d’un expert. Oui il faut une expertise finale bien sûr, mais je pense c’est au moment de la prescription d’un médicament par un médecin, de la dispense d’un médicament par un pharmacien ou de l’administration d’un médicament par une infirmière que peuvent aussi arriver les problèmes.

Il faut savoir quand même que les effets secondaires des médicaments, c’est quatrième à cinquième cause de mortalité dans le monde ! Pour les états unis seuls c’est 250 000 morts par an ! En France je crois que c’était plus de dix mille morts par an à cause d’un mauvais usage des médicaments ! Si on pouvait consacrer une fraction de l’énergie investie pour le Covid pour sensibiliser sur ce thème… Il y a tellement de méthodes qui existent pour baisser les erreurs médicamenteuse que je pense que c’est d’abord un problème de santé publique qui doit concerner tout le monde y compris les malades et qu’il y a une prise de conscience à réaliser qui n’existe.

Donc les sociétés pharmaceutiques ont des réglementations, c’est obligatoire. Elles ne peuvent pas faire autrement donc elles les appliquent. Mais la chaîne du médicament n’est pas composée uniquement de l’industrie pharmaceutique. C’est aussi le médecin, pharmacien, l’infirmière… Le but de notre association, l’ISOP, c’est de parvenir à sensibiliser l’opinion sur le fait que l’erreur médicamenteuse est un problème de santé publique et multidisciplinaire. Et que les institutions se doivent de l’aborder de façon multidisciplinaire. Cela signifie inclure des médecins, inclure des pharmaciens, inclure des patients et leur donner une information à même de les aider à baisser le nombre d’effets indésirables.

Quelles autres actions de pharmacovigilance avez vous mises en place en Israël ?

Tout d’abord, on a identifié une classe de médicaments, les anticoagulants pour laquelle on sait que le bénéfice est immense mais que le risque est très important. Donc c’est très important de bien savoir gérer, de bien savoir prévenir des effets secondaires qui peuvent se révéler catastrophiques bien que ces médicaments sauvent des vies. Comment gérer la problématique des anticoagulants en Israël le mieux possible afin que le bénéfice soit le plus haut et le risque le plus bas. Donc, à part le congrès, on a initié deux autres actions.

  • Un premier projet à l’hôpital Maayané HaYéchoua.

J’ai rencontré une jeune femme géniale – une francophone – qui était directrice adjointe de la pharmacie de Maayané HaYéchoua et j’ai créé un modèle ; c’est à dire j’ai combiné plusieurs outils et méthodes pour diminuer le risque des médicaments anticoagulants. Enthousiaste, elle s’est engagée à gérer le projet dans son hôpital. Pendant un an et demi, elle a traduit tous les outils en hébreu. En résumé, ils sont passés dans chaque département de l’hôpital, ils ont formé les gens au modèle de prévention sur les anticoagulants, ils ont mis en place des procédures et ça a été vraiment un magnifique projet pilote.

  • On a également développé une application pour déclarer les effets secondaires que l’on a traduite en hébreu !

C’était un projet compliqué à développer parce que c’est une société française qui nous a fait ça bénévolement – un vrai sponsoring – et qui nous l’a traduite en hébreu. Cette appli est accessible à tout le monde. N’importe qui peut y déclarer un effet secondaire d’un médicament ; soit un patient, soit un médecin, soit un pharmacien et les infos remontent directement au ministère la santé israélien depuis la base de données. Malheureusement, au moment où on allait déployer l’appli, le Covid est apparu donc tout s’est un peu arrêté. On a toujours cette application qui est prête qui aurait pu servir pour les médicaments utilisés face au Covid, pour le vaccin anti Covid… L’appli s’appelle My eReport https://www.myereport.eu/

En parallèle, pendant sept mois, on a mené une action conjointe avec Super farm Israël et l’association des pharmaciens israéliens sur les anticoagulants.

Dans ce projet, on prévoyait d’abord d’informer tous les pharmaciens d’Israël sur les anticoagulants de façon très pointue. Ensuite quand il avaient un patient sous anticoagulants il vérifiaient plusieurs points : ils vérifiaient si le patient avait bien compris, si la dose était bonne, si il n’y avait pas d’interaction… donc on a vu aussi des résultats que l’on a pu montrer pendant le symposium

En fait on se contente pas juste de formation. On fait aussi des projets Tah’less. J’aime bien et surtout, c’est très original. On a présenté le modèle et l’appli dans plusieurs congrès. J’ai présenté ces deux projets au congrès annuel de l’ISOP à Genève. On a écrit des papiers sur le sujet. Ça, c’était jusqu’au Covid

Après le symposium, j’ai construit un programme de workshop sur la pharmacovigilance à l’hôpital avec l’université d’Ariel et l’hôpital Hadassah de Jérusalem. Et une fois que le programme était prêt – c’était beaucoup d’énergie et de temps pour arriver à le préparer, d’aller voir les gens à Ariel et à les convaincre – le Covid arrive. Donc tout s’est arrêté. Et là je me suis dit, on peut apporter quelque chose d’autre. Je pense que cette année de Covid, on a vraiment été très utile…

Retrouvez l’interview en vidéo :

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